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Addis Abeba

Kazanchis

   Situé dans le district de Kirkos, Kazanchis est l’un des plus anciens quartiers de la capitale éthiopienne, Addis Abeba. Ce quartier populaire, connu pour son effervescence, ses multiples bar-restaurants et l’hospitalité de ses habitants, est aujourd’hui en pleine transformation. Il est représentatif du développement de la ville et de l’évolution générale du pays.

Le nom Kazanchis vient de « Casa Anchis », du nom d’un italien installé dans les années 1930, lorsque Mussolini cherchait à étendre son empire. Même si l’Italie n’a jamais réussi à s’imposer en tant que colonie durable en Ethiopie, des familles italiennes établirent leurs habitations dans la capitale, dont le fameux hôtel Choaget. Par son emplacement au coeur de la ville et par sa taille, il était un hôtel de référence à l’époque. Kazanchis a commencé à s’étendre à partir de cette zone réputée qui attirait une foule de gens, riches ou moins riches, venus se retrouver pour boire un verre, aller au marché ou bien se divertir dans les clubs de Jazz en plein essor dans les années 60 et 70. Tout le monde se mélangeait dans ce petit village à l’intérieur de la ville. Tout se trouvait ou presque dans ce quartier, écoles, hopitaux, bureaux administratifs, commerces, marchés, cafés. A la tombée de la nuit, tous les vices pouvaient être satisfaits, à tel point qu’on lui a même attribué pendant un moment le sombre surnom de dirty corner.

Dès la fin du 20ème siècle, alors que le pays connait une croissance économique impressionnante, portée par l’afflux de capitaux et de savoir-faire étrangers, les inégalités architecturales et sociales se creusent. De vieilles « zones guetto » font tâche au sein d’Addis Abeba et gènent la construction d’immeubles babéliens, de bureaux, d’hôtels et de résidences luxueuses. Ces zones sont peu à peu rasées et récupérées par le gouvernement afin d’assouvir une certaine promotion immobilière. La ville se transforme à vue d’oeil et le quartier contrasté de Kazanchis en reflète les changements. Il réunit à la fois des lieux de vie animés, des cases en tôle, mais aussi des hôtels internationnaux ou l’imposant siège de l’Union Africaine, établit en 1963 sous le règne de l’empereur Hailé Sélassié. Aujourd’hui, les chantiers démesurés poussent un peu partout et le verre remplace doucement la tôle.

Enfoncée au bout d’un chemin en terre de Kazanchis, se trouve une petite menuiserie. Dominée par l’hôtel Hilton en face, elle appartient à Sisay qui y fabrique, avec l’aide d’une poignée d’ouvriers, des étagères, des lits, des commodes. C’est au milieu des outils et des planches de bois que nous avons décidé, Dawit et moi, d’installer notre « studio photo ». Une bâche de la toiture a été décalée pour laisser entrer un peu de lumière naturelle. Dans le désir d’échanger avec les habitants de cette partie du quartier, et d’immortaliser leurs visages si singuliers, une soixantaine de portraits ont été réalisés.

Selon Sisay et ses proches, la menuiserie et les cases alentour devraient disparaître d’ici trois à cinq ans. Quand nous les questionnons sur leur avenir, ils répondent, avec cette douce fatalité, qu’ils verront bien. La construction d’un immeuble d’une dizaine d’étages fait déjà de l’ombre au voisinage. Certains habitants ont quitté les lieux pour aller vivre en banlieue de la ville, dans ce qu’ils appellent les « condos », de grandes étendues de logements sociaux à l’architecture fade. Le centre d’Addis Abeba, comme souvent dans les capitales, devient le territoire des plus aisés. Espérons seulement que le charme historique du quartier de Kazanchis ne sera pas totalement effacé et oublié.

Jeff Le Cardiet, mai 2017